15 déc. 2025

Sécurité sociale de l’alimentation : un an d’expérimentation à Lyon

Par

Florence Gault

Agriculture

4 mins

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À Lyon, dans le 8ᵉ arrondissement, une centaine de foyers expérimentent depuis un an un dispositif inspiré de la Sécurité sociale de l’alimentation. Portée par l’association Territoires à VivreS, la Caisse de l’alimentation permet à des habitants, associations et institutions de tester un modèle fondé sur la solidarité : garantir à toutes et tous l’accès à une alimentation locale, de qualité, choisie collectivement. Une initiative encore fragile financièrement, mais dont les effets sur la santé, la dignité, les parcours de vie et le lien social sont déjà bien visibles.

©En un battement d'aile

Dans les rayons de l’épicerie sociale et solidaire Épicentre, Faten avance lentement, observant les produits. Pâtes semi-complètes, légumes secs, fromages sans additifs : chaque choix est réfléchi. Maman solo, habitante du 8ème arrondissement, elle participe à l’expérimentation depuis un an.

« Avant tout, c’est ma santé qui a changé », raconte-t-elle. Atteinte de la maladie de Crohn depuis plus de vingt ans, elle a progressivement fait le lien entre alimentation et bien-être. Le bio, les produits fermiers, la provenance des aliments : autant de critères devenus essentiels, mais longtemps incompatibles avec un budget contraint. « Cette expérimentation m’a permis de devenir actrice. Aujourd’hui, on vit la vie qu’on souhaitait avoir. »

Si la Caisse de l’alimentation a vu le jour dans le 8ème arrondissement, ce n’est pas un hasard. Une étude menée par la Métropole de Lyon en 2019 montrait qu’un tiers des habitants du quartier rencontrait des difficultés pour accéder à une alimentation de qualité, et que 15 % déclaraient ne pas manger à leur faim. Face à ce constat, l’association Territoires à vivre a porté l’idée d’un dispositif inspiré de la Sécurité sociale, fondé sur la solidarité et le droit.

Comment ça fonctionne, concrètement

Le principe repose sur une cotisation ajustée aux moyens de chacun, à partir d’un euro par mois, sans plafond. En retour, tous les participants bénéficient du même montant : 150 euros par personne, versés sous forme de crédits numériques, utilisables dans des commerces et chez des producteurs conventionnés. Selon la composition du foyer, ce montant peut atteindre 450 euros.

« Ce projet ne s’adresse pas uniquement aux personnes en situation de précarité », insiste Mariella Eripret, chargée de mission démocratie alimentaire chez Territoires à vivre. « L’objectif est l’universalité : faire de l’alimentation un droit, et non une aide conditionnée. »

Les lieux partenaires — aujourd’hui au nombre de 24 — sont sélectionnés par un comité d’habitants, une trentaine de volontaires qui définissent collectivement des critères sociaux, environnementaux et économiques. Chaque conventionnement est discuté, puis validé par consentement.

Infographie ©Territoires à vivre

Des effets observables sur les parcours de vie

Pour Umi, maman de deux enfants sans revenu, la caisse a changé le rapport à la fin du mois. « Savoir que, chaque mois, il y aura quelque chose, même quand on n’a pas d’argent, ça enlève une angoisse énorme. » Avant, elle dépendait de l’aide alimentaire associative. Aujourd’hui, elle choisit ses produits, fréquente des marchés, entre dans des magasins où elle n’osait pas aller.

Franck, entré dans l’expérimentation avec des questions sur le “mieux manger”, évoque lui aussi un changement de regard. « Je n’osais même pas passer la porte de certains magasins bio. Là, je choisis, je paie, sans être jugé. Et j’ai vu des effets sur ma santé. »

Même si ce n’était pas un objectif affiché, plusieurs participants évoquent un retour à l’emploi ou une reprise de confiance favorisée par le collectif. Sylvain, ancien bénévole à l’épicerie Épi C'est bon, parle d’un “battement de cœur”. « La caisse m’a redonné envie de cuisiner, de m’engager, de me projeter. Et aujourd’hui, j’ai retrouvé un travail. »

Retrouver la dignité et le choix

L’expérimentation n’est pas exempte de difficultés. La construction du réseau de partenaires demande du temps, de la pédagogie et parfois se heurte à des refus. Un épisode a marqué les participants : celui d’une boucherie halal, conventionnée pendant quelques mois, avant que le gérant ne décide de se retirer.

Très fréquentée par les membres de la caisse, elle a finalement estimé que cette clientèle ne correspondait pas à l’image “haut de gamme” qu’elle souhaitait renvoyer. « Pour beaucoup, ça a été vécu comme une humiliation », reconnaît Mariella Eripret. « Ça a mis en lumière des rapports de classe très forts, et les limites d’un projet qui bouscule les codes habituels de consommation. »

Loin d’être anecdotique, cet épisode alimente aujourd’hui la réflexion du collectif sur les conditions d’accueil, la mixité sociale et les résistances que suscite ce type de dispositif.

Un modèle encore fragile

Avec un budget de 755 000 euros sur trois ans — financé à 46 % par la Métropole de Lyon, 28 % par l’État et 25 % par les participants — la Caisse de l’alimentation reste économiquement fragile. Une rallonge exceptionnelle permet de prolonger l’expérimentation de quelques mois, mais son avenir reste incertain. Une campagne de financement participatif a été lancée pour tenter de consolider le modèle.

Pour Jérémy Camus, vice-président de la Métropole de Lyon en charge de l’agriculture et de l’alimentation, l’enjeu dépasse largement le cadre local. « L’alimentation n’est pas une marchandise comme les autres. C’est un sujet de solidarité nationale. » Il défend l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation à l’échelle du pays, capable à la fois d’améliorer la santé publique et de soutenir les agriculteurs.

Une proposition de loi visant à expérimenter une Sécurité sociale de l’alimentation devait être examinée en février 2025. Portée par plusieurs députés de gauche et écologistes, dont Boris Tavernier, elle prévoyait de mener l'expérimentation de 30 caisses locales sur cinq ans, financées par un fonds national d’expérimentation. Mais elle n’a pas pu être discutée faute de temps.


Découvrez notre reportage dans le podcast d'En un battement d'aile :

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