24 sept. 2025
« Au Faitout, l’alimentation devient un outil pour transformer la société »
Par
Florence Gault
Baptiste Peycelon et Marie-Amandine Vermillon reviennent sur la création du tiers-lieu le Faitout, à La Mulatière, et expliquent comment leur cantine bio, locale et végétarienne, combinée à une tarification solidaire et des résidences culinaires, cherche à faciliter le lien social, expérimenter la démocratie alimentaire et rendre le changement accessible à tous.
Marie-Amandine Vermillon et Baptiste Peycelon ©Le Faitout
Inauguré en juin 2023 dans l’ancienne cantine des cheminots, le Faitout est un tiers-lieu qui combine cantine bio et locale, coworking solidaire et programmation socio-inclusive. Baptiste Peycelon, directeur du Faitout, et Marie-Amandine Vermillon, coordinatrice de Bellebouffe, une des deux associations cofondatrice du Faitout, expliquent comment leur projet vise à favoriser l’accès à une alimentation de qualité, renforcer le lien social et expérimenter de nouvelles formes de solidarité alimentaire.
Présentez-nous le Faitout…
Baptiste Peycelon : Le Faitout est né en juin 2023, dans l’ancienne cantine des cheminots de la SNCF. Sur place, trois activités principales : un accès à une alimentation saine et durable grâce à notre cantine, un coworking dédié à l’économie sociale et solidaire, et une programmation socio-inclusive pour que les personnes puissent découvrir le lieu.
Marie-Amandine Vermillon : Pour nous, l’alimentation est un point d’entrée pour transformer la société. Tout le monde doit pouvoir accéder à une alimentation de qualité, issue d’une agriculture équitable, biologique et de saison. Dans notre cantine, nous proposons des plats végétariens ou véganes pour les rendre accessibles au plus grand nombre.
Nous travaillons avec des acteurs locaux en garantissant une juste rémunération des producteurs, sans négocier les prix. C’est une manière d’incarner la justice alimentaire, à la fois sur l’accessibilité et la rémunération. Avec Bellebouffe, nous menons aussi des démarches de démocratie alimentaire : le Faitout est un espace de place publique où l’on échange et co-construit des solutions nouvelles. L’idée est de créer un environnement facilitant : ici, la norme, c’est le bio, le local, le végétarien. On ne fait pas reposer le poids du changement sur les individus.
À lire aussi | À La Mulatière, le Faitout lutte contre la précarité alimentaire par la cuisine solidaire
Au-delà de l’alimentation, la question de l’hospitalité est centrale.
Baptiste Peycelon : Oui, clairement. Aujourd’hui, le Faitout prône un accueil inconditionnel. Si on souhaite pousser la porte, il faut être capable de déconstruire les inégalités. On ne choisit pas son voisin et sa voisine, il faut essayer d’être dans une posture d’écoute et de rencontre.
Il y a une tarification solidaire qui est mise en place à la cantine, comment fonctionne-t-elle ?
Marie-Amandine Vermillon : Nous avons une triple tarification. Le menu complet est à 13 € (tarif plein). Ceux qui paient ce tarif peuvent donner un peu plus pour alimenter une caisse de solidarité, qui finance les autres tarifs. Il existe un tarif réduit à 8 € pour ceux pour qui 13 € serait difficile, sans justificatif, et un tarif “invitation”, gratuit, pour des publics identifiés par des structures d’action sociale. La caisse est financée par les micro-dons des convives et par des subventions publiques et privées.
Baptiste Peycelon : Dès le départ, le projet a été pensé autour de cette logique. Nous avons ajusté le ticket d’invitation pour qu’il ne coûte rien aux bénéficiaires. Mais, il nous faut aller plus loin. On a beau dire que le lieu est ouvert, que nous prônons l’accueil inconditionnel, tant qu’il n’y a pas de lien social, ça ne fonctionne pas. Nous travaillons donc à faire venir les travailleurs sociaux et les intervenants des différentes structures la première fois avec leur public. C’est un temps collectif, qui permet aux personnes de constater par elles-mêmes que le lieu est proche, qu’elles y sont bien reçues et qu’elles passeront un bon moment. Cela facilite ensuite le lien et les encourage à revenir de manière autonome.

Cantine du Faitout ©Le Faitout
Est-ce que pour ces publics, le fait de proposer une alimentation bio, locale, végétarienne, ça peut représenter une barrière ?
Marie-Amandine Vermillon : Les deux principaux freins sont économique et symbolique. Avec Bellebouffe, dans nos ateliers, nous n’allons pas tout de suite dire que c’est végétarien, bio. On va privilégier une approche autour du plaisir et de la pratique, pour que les participants construisent ensuite d’autres représentations de ce que serait une alimentation durable. Au Faitout, au contraire, nous affichons clairement notre charte alimentaire : végétarien, bio, local. Certains peuvent être intrigués ou surpris, mais l’objectif est de faire bouger les imaginaires et les normes.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour créer et installer le Faitout ?
Marie-Amandine Vermillon : Il a fallu développer le projet en un temps record : un an pour deux petites associations ! Une difficulté mais aussi un challenge. Il a fallu identifier les travaux à faire, estimer les coûts, investir pour l’équipement, définir le modèle économique, organiser la gouvernance et concevoir le projet avec les habitants et acteurs locaux. Pourquoi aller aussi vite ? Parce qu’on commençait à payer un loyer un an plus tard ! La temporalité était contraignante : nous commencions à payer un loyer un an plus tard !
Comment mesurez-vous l’impact du Faitout ?
Marie-Amandine Vermillon : Nous avons réalisé une première mesure d’impact entre septembre 2023 et janvier 2024, pour évaluer l’appropriation des activités et leur capacité à favoriser le pouvoir d’agir, le lien social, le plaisir, etc. Entre temps, on a fait émerger les résidences culinaires. Nous avons développé un outil de mesure d’impact pour évaluer dans quelle mesure un porteur ou une porteuse de projet peut travailler son modèle économique et acquérir un savoir-faire dans la gestion d’un restaurant.
Nous mesurons aussi si la résidence lui permet de s’approprier les enjeux liés à la végétalisation des assiettes, aux circuits courts, à l’alimentation biologique et à la réduction des déchets. Nous suivons également les intentions d’agir après la résidence : est-ce que la personne va modifier ses pratiques grâce à ce qu’elle a appris ? Ce sont des outils que nous avons mis en place, et nous préparons une mesure d’impact plus globale pour 2026.
Nous allons également lancer une démarche d’évaluation participative pour faire émerger collectivement les indicateurs pertinents. permettent aussi de mesurer la capacité des porteurs de projet à s’approprier les enjeux liés à la végétalisation, aux circuits courts, au bio et à la réduction des déchets. Une démarche d’évaluation participative est prévue pour 2026.
Baptiste Peycelon : Concrètement, en 2024, nous avons eu 1 800 adhérents contre 300-400 la première demi-année. La visibilité et le rayonnement augmentent. On a quasiment triplé les privatisations d’espaces, le coworking affiche complet.

©Le Faitout
En revanche, il y a encore des efforts à faire sur les tickets d’invitation…
Baptiste Peycelon : Oui, c’était un réel enjeu pour 2025 : nous voulions qu’environ une centaine de personnes par mois, éligibles au ticket d’invitation ou au tarif réduit, puissent venir manger. Aujourd’hui, nous y sommes presque, au moins sur certains mois.
Sur les mois de mars et avril, nous avons observé une belle mixité dans la cantine, ce qui était très positif. Mais avec le mois de mai et les ponts, la fréquentation a baissé : certaines personnes ayant les moyens ne sont pas venues, et d’autres, moins favorisées, non plus. Il reste encore du travail pour la rentrée afin que toute personne disposant d’un ticket puisse pousser la porte et profiter du lieu.
Quels sont les défis à relever ?
Marie-Amandine Vermillon : Il s’agit d’amplifier ce qui existe déjà. Nous réfléchissons à repenser les solidarités alimentaires : la caisse de solidarité pourrait financer d’autres projets, même en dehors du restaurant, pour favoriser l’accès à une alimentation de qualité. Le lieu a ses limites physiques : on aurait aimé développer une épicerie solidaire, mais l’espace manque. Donc voilà, on teste, on ajuste…
Baptiste Peycelon : On avance avec humilité : on teste de petites choses sur des créneaux limités, on observe, on se demande si ça répond à un besoin, si ça a un impact, et si on souhaite continuer ou aller plus loin. Sur les financements, c’est un peu pareil. La baisse des subventions publiques a été un choc, mais nous avons su rebondir, chercher d’autres financements et faire du plaidoyer pour montrer notre utilité. Nous compensons ainsi certaines carences institutionnelles.
Bien sûr, il est important de solliciter les subventions publiques quand elles existent. Mais pour faire évoluer les pratiques, rendre la cuisine végétarienne saine et durable accessible à tous, nous devons aussi mobiliser des fonds privés. Le fait que le Faitout soit un lieu fixe rend notre action tangible pour les financeurs : ils voient concrètement ce que nous faisons et réalisent l’ampleur du projet.
Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire doit être prise au sérieux. C’est une économie parallèle, mais c’est l’économie de demain. Donc il faut avancer avec humilité, il faut essayer, il faut expérimenter le collectif, ça prend du temps.