6 août 2025
Du cinéma au compost : Marc Ferrieux a changé de décor
Par
Aurélie Chanier
Après près de 30 ans passés dans l’univers du cinéma, Marc Ferrieux a décidé de tourner une nouvelle page. Cofondateur de OuiCompost, il collecte aujourd’hui les biodéchets de la métropole lyonnaise pour les transformer en compost. Dans le cadre de la série Les portraits de l’été – La série qui donne envie de bifurquer, il raconte comment une rencontre a fait basculer sa trajectoire, entre quête de sens, transition écologique et envie d’agir concrètement.
©En un battement d'aile
Avant de parler de compost, revenons sur votre parcours. Vous avez passé près de 30 ans dans l’univers du cinéma. Qu’est-ce qui vous motivait dans ce domaine à l’époque ?
J’aimais beaucoup organiser des événements autour du cinéma, pour les professionnels comme pour le public : des manifestations, des festivals… Depuis que je suis enfant, je suis passionné par ce domaine. J’ai donc tout naturellement essayé de construire ma carrière professionnelle autour de cette passion.
Et si on parle du moment de basculement : y a-t-il eu un événement, une prise de conscience ou une rencontre qui vous a poussé à changer de voie ?
C’est une rencontre, toujours dans le domaine du cinéma. Je suis bénévole depuis quelques années au cinéma Saint-Denis de la Croix-Rousse à Lyon, et en discutant avec un autre bénévole, Alexandre, il m’a parlé de son projet : créer une boucle de collecte de déchets alimentaires pour produire du compost. Cette discussion a déclenché des envies de mon côté.
Passer d’un univers créatif à un projet entrepreneurial et écologique, ce n’est pas rien. Comment avez-vous vécu cette transition ?
J’avais déjà, avant de me lancer, des convictions autour de l’écologie, que je mettais en pratique à mon niveau. Ce qui m’a le plus attiré dans ce projet, c’est sa concrétisation. J’aime beaucoup le mot « projet » : il évoque une envie, un rêve qu’on peut transformer en réalité. Et ce qui m’intéressait ici, c’était justement de passer à l’action. De partir de l’idée d’Alexandre pour créer une activité autour de la collecte et de la valorisation des déchets alimentaires.
Je venais d’un domaine – le cinéma – dans lequel j’étais, en toute modestie, un peu expert. Là, j’arrivais dans un secteur que je ne connaissais pas du tout, sans formation scientifique, sans expérience dans la gestion des déchets. Et paradoxalement, ça a été une force. Je suis entré dans ce nouvel univers sans a priori, avec beaucoup de curiosité. Ce mélange de naïveté et de découverte m’a permis d’y aller pleinement, sans trop me poser de questions.
Et votre entourage proche ? Était-il surpris ?
Pas vraiment. Ma famille sait que j’aime les projets et la création, peu importe le domaine. Pour eux, cela restait dans la continuité de ce que je suis.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour opérer ce changement de voie ?
Cela s’est fait assez naturellement. Après tant d’années dans le cinéma, j’avais probablement envie d’autre chose. Envie de voir si « j’y étais ailleurs », comme on dit. Organiser des événements, c’est concret bien sûr, mais j’avais besoin d’un autre type de concret, comme… un fertilisant naturel.
Même si, chez moi, on faisait déjà du compost – on avait un lombricomposteur en famille – je n’étais pas un écolo « hardcore ». Je continue d’avoir des comportements qui ne sont pas exemplaires écologiquement parlant. Mais j’ai voulu découvrir un autre domaine, partir d’une feuille presque blanche et créer quelque chose.
Et vos collègues du cinéma ? Comment ont-ils réagi en apprenant que vous alliez vous lancer dans OuiCompost ?
Aucun souci. Je leur parle toujours, ils ne m’ont pas rayé de leur carnet d’adresses ! Le monde de la culture est, dans l’ensemble, assez ouvert. J’étais dans un environnement où la curiosité et l’enrichissement mutuel sont des valeurs fortes. Ils ont très bien compris cette transition.
Le milieu du cinéma est pourtant très différent, polluant aussi. Votre reconversion représente un gros virage : vous arrivez identifier le déclic ?
Oui, le cinéma est un domaine avec beaucoup d’ego, et j’en faisais partie. Le passage vers l’économie sociale et solidaire, à travers l’activité de compost, m’a permis de découvrir d’autres dynamiques : le partage, la co-construction, les démarches collectives.
Je ne suis pas sûr que je me serais lancé dans un projet qui ne m’intéressait pas du tout. À l’inverse, je ne me voyais pas non plus rejoindre une structure déjà existante pour simplement y produire du compost. Ce qui m’a vraiment motivé, c’était de créer un projet, de le bâtir de A à Z. L’entrepreneuriat en somme. Aujourd’hui, nous sommes dix salariés. Le projet en lui-même compte autant que le domaine. C’est une transition écologique, oui, mais avant tout une aventure entrepreneuriale. Peut-être qu’un jour, je mènerai un autre projet dans un tout autre univers… Je ne peux pas le savoir aujourd’hui.
Est-ce que certaines compétences issues du cinéma vous servent aujourd’hui dans cette aventure ?
Pas directement pour l’engagement écologique, mais clairement dans l’organisation de OuiCompost : constituer une équipe, choisir les bons outils, structurer une activité. Ce sont des compétences que j’ai cultivées dans mes expériences précédentes.
Enfin, quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui envisage de bifurquer vers un métier en lien avec la transition écologique ?
Je pense qu’il faut d’abord apprendre à bien se connaître. Comprendre ses envies et surtout, ne pas aller à l’encontre de ce que l’on est réellement. Ce genre de projet prend du temps, demande de l’énergie et l’adhésion d’autres personnes. Il faut donc que ce soit aligné avec ce que l’on est, profondément.
Et peut-être prendre le temps de mûrir son idée ?
Exactement. Et pour cela, rien de mieux que de rencontrer du monde. C’est peut-être mon deuxième mot préféré de la langue française, après « projet » : « rencontre ». Ce sont les échanges qui nourrissent l’envie d’agir, qui donnent des idées et qui font avancer les projets.