24 sept. 2025
À vélo à la rencontre des alternatives durables : le voyage de trois jeunes à travers l’Europe
Par
Florence Gault
En 2024, Pierre Bosselli, Elio et Lou-Léna Juillet ont parcouru plus de 10 000 kilomètres à vélo, de la France jusqu’aux confins de la Norvège, pour rencontrer des initiatives locales et durables. À travers éco-lieux, fermes agroécologiques et communautés engagées, ils ont exploré des modes de vie alternatifs et documenté leurs découvertes dans le projet Demain c’est mieux. Dans cet entretien, ils reviennent sur la genèse de leur aventure, leurs apprentissages, leurs questionnements et la manière dont ce périple nourrit leur futur documentaire et leur réflexion sur la transition écologique et sociale.
©DR
Comment vous êtes-vous lancés dans ce tour d’Europe à vélo à la rencontre des personnes qui construisent le monde de demain ?
Pierre : Nous étions tous les trois étudiants : Lou en journalisme, Elio en génie biologique, et moi en BTS protection de la nature. Je sentais bien que la façon dont on m’enseignait la protection de la nature n’était pas vraiment ce que je voulais faire. Je me posais beaucoup de questions et j’avais un besoin profond de rencontrer des gens et de réfléchir à la manière dont je voulais vivre. J’avais déjà arrêté les études dans lesquelles j’avais rencontré Elio. Et je lui ai proposé ce tour à vélo pour répondre à ce besoin profond. Il a beaucoup hésité avant d’accepter. Et Lou nous a ensuite rejoints. L’aventure à trois pouvait commencer.
Elio : Est-ce qu'on a vraiment décidé à un moment de partir ? Au début, ce n’était pas facile d’accepter de tout quitter, mais une fois tous les trois réunis, c’est devenu évident. Et on a commencé à prendre les décisions nécessaires pour nous lancer.
Il y avait de l’inquiétude à créer pendant un an cette césure qui n'existe pas beaucoup aujourd’hui dans notre société ?
Lou-Léna : Elio soulignait souvent ce droit à l’errance, à prendre le temps de réfléchir. C’est à la fois un privilège et mais aussi un droit, surtout dans un moment où il y a une convergence des crises et où tout semble un peu instable, avec mille issues possibles, pas toujours très joyeuses.
Elio : C’était avant tout prendre le temps de se poser la question de comment on veut vivre demain ? Et surtout, en fonction de ce qu'on doit changer. Aujourd’hui, nous avons conscience que nos modes de vie ne sont pas soutenables. Et donc se pose forcément un changement de vie radical. On ne se sentait pas de continuer comme ça. Il y avait un besoin impératif d’engager ce changement.
Vous auriez pu prendre ce temps en France, près de chez vous. Le fait d'aller à la rencontre de l'autre, d'aller voir ce qui se passe ailleurs, c’était une sortie de zone de confort ?
Lou-Léna : Oui, mais surtout, c’était un besoin et un devoir de voir s’il existait des personnes vivant autrement. Et si oui, est-ce qu'il n'y en a qu'en France ? Parce qu'on entend souvent parler de la Drôme, de l'Ardèche, de ces endroits très alternatifs. Mais est-ce qu'il y en a en Pologne ? Est-ce qu'il y en a en Finlande, en Norvège, en Suède ? Nous voulions documenter - c’est peut-être aussi ma formation de journaliste - leurs modes de vie et partager ce que nous découvririons.
Elio : Je ne veux pas qu'on ait l'impression qu'on dit que tout le monde doit partir en voyage. À chacun de trouver de quoi il a besoin. Mais ça ne passe pas du tout forcément par le voyage, pas non plus forcément par le vélo.

Le trajet de leur périple ©Demain c'est mieux
Comment avez-vous établi votre parcours et choisi les initiatives à découvrir ?
Lou-Léna : On a galéré ! (Rires)
Pierre : Ça peut sembler étonnant, mais l’itinéraire s’est surtout précisé à la fin de la préparation. On avait une idée générale du trajet, mais il a beaucoup évolué jusqu’au dernier moment, et même pendant le voyage. Tout s’est fait très intuitivement.
Lou-Léna : Le déroulé et les différentes initiatives que nous avons découvertes reflètent aussi l’évolution de notre pensée. Cette errance se retrouve dans notre parcours. Au fur et à mesure, après avoir visité de nombreux lieux de vie en collectif, on s'est demandé comment réapprendre à vivre ensemble. Cela a été une de nos premières révélations, on va dire. Après une quinzaine de lieux, on s'est retrouvé à se dire : ok, on vit ensemble, mais comment est-ce qu'on construit nos habitations ? Puis après, comment est-ce qu'on renoue également avec le vivant ? Puis comment est-ce qu'on éduque ? Comment est-ce qu'on grandit ?
Elio : Un des avantages du vélo, c’était de pouvoir se dire : le mois prochain, je ne vais plus dans cette partie de la Norvège, mais plutôt en Suède pour découvrir telle alternative qui correspond à notre évolution de pensée.
Au fur et à mesure de votre voyage, dans les vidéos que vous avez publiées sur les réseaux sociaux, on comprend que vous n’allez pas revenir avec un mode d’emploi, qu’il n’y a pas de solution parfaite. Vous en aviez conscience au départ ?
Elio : Moi, je pensais assez naïvement qu’il y avait un modèle à suivre. Le voyage m’a appris qu’il n’y a pas une solution unique, mais plein d’expérimentations qui ne sont d’ailleurs pas faciles à tenir sur le long terme.
Lou-Léna : Je pense qu’inconsciemment, on cherchait un modèle parfait pour s’inspirer, mais on a compris qu’il y a autant de solutions qu’il y a de projets. J’ai eu une vraie prise de conscience en écoutant un podcast de Corinne Morel-Darleux. Elle disait que pour changer profondément les choses, il faut changer les récits, montrer qu’il existe des alternatives et lutter contre les forces destructrices. Et ça m'a fait prendre conscience qu'il est important de valoriser toute forme de tentative qui va dans le sens de la reconnexion au vivant, de la protection de l’autre, du plus durable, etc.
Donc finalement, vous êtes repartis presque avec plus de questions ?!
Lou-Léna : Ah oui, ça c'est la conclusion ! (Rires) On a beaucoup plus de questions qu'au départ !
Avez-vous retrouvé un fil rouge commun dans toutes ces initiatives ?
Pierre : On peut identifier deux grandes catégories de lieux collectifs, dans ceux qu’on a rencontrés. D’un côté, ceux qui vivent ensemble de façon sobre et écologique sans réel but de changer le monde. De l’autre, ceux qui ont des objectifs à moyen ou long terme parfois même d’influencer le monde. Un des collectifs nous a clairement dit que leur ambition était de changer le monde.
Lou-Léna : Moi, j’ai une autre grille de lecture. On peut aussi les voir selon leurs intentions: certains cherchent à renouer avec le vivant ou à adopter une démarche sobre, tandis que d’autres vont vouloir plutôt retrouver du sens dans la vie collective.
Ce projet, il parle aussi beaucoup de la jeunesse, la vôtre, celle que vous portez en étant trois jeunes qui décident de se lancer dans cette expérience. Est-ce que vous avez ressenti une forme de responsabilité à faire entendre la voix des jeunes ?
Lou-Léna : C’est difficile. Je ne me considère pas comme représentante de la jeunesse, parce qu'il y a tellement de profils différents dans la jeunesse. Moi, je viens d'un milieu privilégié et j'ai grandi en Haute-Savoie, à la frontière suisse. Je ne me sens pas du tout comme étant quelqu'un qui symbolise la jeunesse. Moi, je ne veux plus que mon confort dépende de plein de gens au détriment de leur vie et de leurs besoins primaires. Je n'ai pas du tout envie que ma façon de vivre détruise le vivant qui nous entoure et que pour l'instant, tout ce que nous montrent les rapports scientifiques nous montrent que ça ne va pas donc évidemment qu’on sent une responsabilité.
Elio : Oui, c'est ça, peut-être une responsabilité générationnelle, j'aime pas trop dire ça non plus, mais n'empêche qu'on sent bien, en tout cas, qu'on va pas pouvoir continuer comme ça, et qu'il y a autre chose à inventer.
Dans le documentaire, en tout cas, vous allez forcément incarner trois jeunes qui cherchent des réponses à leurs questions, qui n’ont pas voulu rester inactifs…
Pierre : C'est sûr qu'on a envie de faire un film aussi pour inspirer, pour que les questions qu'on s'est posées puissent amener peut-être aux mêmes réflexions des personnes, des jeunes qui pourraient être dans les mêmes situations que nous, ou qui n'auraient pas forcément l'occasion de faire la même chose que nous. Le but, c’est de semer des petites graines.
Lou-Léna : Et de nouveau sans avoir la prétention de présenter un modèle unique, mais plutôt un panel d’alternatives non exhaustives. Le but est de provoquer un « espoir actif ». Est-ce qu’on y arrivera ? On verra. En tout cas, on espère pouvoir coupler le film à des ciné-débats et des événements locaux pour échanger avec le public et faire émerger des idées.