30 juil. 2025

Manuel Perez a quitté le monde de l’informatique pour co-fonder une ferme d'aquaponie

Par

Gildas Barbot

Société

5 mins

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En 2019, Manuel Perez a quitté une carrière de cadre dirigeant dans l’informatique pour lancer, avec trois associés, un projet d’agriculture aquaponique dans la Drôme. À La Baume-d’Hostun, au pied du Vercors, il a cofondé La Ferme Intégrale : un lieu de production alimentaire circulaire, concret, nourricier, aligné avec ses convictions écologiques naissantes. Dans ce nouvel épisode de la série « Les portraits de l’été – La série qui donne envie de bifurquer », il revient sur le lent processus qui l’a conduit à changer de cap, les doutes sur sa légitimité, les épreuves qui ont déclenché le mouvement…

©En un battement d'aile

Avant de parler de votre bifurcation, Manuel, parlez-nous de votre vie professionnelle d’avant ?

Je viens d’une famille ouvrière. Je n’étais pas prédestiné à faire de longues études, mais j’ai pu intégrer une école de commerce, que j’ai financée en travaillant à côté. Ce n’était pas une vocation mais j’y ai trouvé ma place. Le commerce m’a plu, en particulier l’aspect technique, même si je n’étais pas passionné par les objets que je vendais. Je me suis lancé dans l’informatique, un peu par opportunité.

J’ai commencé par des postes très terrains. J’avais besoin de légitimité, alors je suis allé chercher plus de responsabilités. Ma mère m’a encouragé à viser plus haut. J’ai monté les échelons, jusqu’à rejoindre une entreprise dans la Drôme qui était en difficulté. C’était un vrai challenge, et ça m’a beaucoup stimulé.

Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette vie ?

Il y avait une vraie excitation dans l’entreprise, le goût de réussir. Moi je suis footeux, alors je voyais mon boulot comme une succession de matchs : chaque semaine ou chaque mois, un match à gagner, et l’année, c’était le championnat. Il faut s’entraîner quand même beaucoup pour que sur le terrain ça fonctionne. Il y a tout ce travail en amont qui est fait : en direct, frontal avec le client, mais aussi en préparation, en équipe.

Et puis après, chaque nouveau match, chaque nouvelle saison a sa propre vérité. Et j’aime ce rythme-là, le fait d’avoir toujours quelque chose à faire, d’être toujours occupé, de devoir toujours développer… La journée n’est jamais terminée. Et j’aime ce tourbillon-là.

Et les questionnements ?

Au début,  il n’y en avait pas tellement. Je voulais juste gagner correctement ma vie, prendre du plaisir au travail. Les choses ont changé à l’arrivée de mes enfants. Là, des valeurs profondes ont émergé. J’ai commencé à me poser des questions sur l’avenir, sur l’environnement, sur ce que je laissais à mes enfants. Il y a une notion de responsabilité qui n’a cessé de croître en moi.

Pouvez-vous nous raconter ce qui se passe dans la tête d’un cadre qui commence à douter ?

C’est un processus long. Il y a l’inconfort de quitter un certain confort, de faire un saut vers quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Et puis il y a toujours cette question de légitimité. Je me la suis posée dès le départ, et j’ai dû franchir ces étapes. Bifurquer dans un métier, une activité où je n’ai aucune compétence, moi qui n’ai vécu qu’à la ville, qui n’ai jamais su faire quoi que ce soit de mes dix doigts. Ma compétence était intellectuelle. Se dire que j’avais envie de mettre les mains dans le cambouis, de faire vraiment, sans savoir faire, ça demande de passer un cap, d’accepter qu’on ne peut plus mettre son énergie dans quelque chose en quoi on ne croit pas.

Quels ont été les déclencheurs ?

Il y en a eu trois. La naissance de ma fille, d’abord. Ensuite, le décès de ma mère, en 2018. Se dire qu’on n’a qu’une vie, qu’on ne peut pas attendre d’avoir une meilleure idée ou que quelqu’un d’autre s’occupe de nous. Il faut se prendre en main, je ne pouvais pas continuer comme ça.
Le dernier, c’est deux ans plus tard, quand j’ai eu un épuisement émotionnel, à force de mettre de l’énergie là où je n’en voulais plus mettre, et avec l’urgence brûlante d’aller faire quelque chose de beaucoup plus sensé ailleurs.

Vous cofondez La Ferme Intégrale, une ferme d’aquaponie. Qu’est-ce que c’est ?

En deux mots, la ferme intégrale, c’est une ferme qui mêle un élevage de poissons et des cultures de plantes. Les plantes vont épurer l’eau des poissons, éliminer tous les nitrates, pour boucler le système entre poissons et plantes, et économiser jusqu’à 90 % d’eau.

On a toute une série d’interactions entre ces deux compartiments, ce qui fait qu’on est dans un système de production circulaire, qui évite au maximum les intrants et les déchets, en amont comme en aval de la production.

En plus, c’est un outil de résilience alimentaire, puisqu’on nourrit les gens, et ça, c’est très concret. Ce besoin de concret, c’était vraiment le moteur au moment où j’ai quitté mon ancien travail, en 2020, juste avant le Covid. Il me fallait quelque chose où je puisse vraiment mettre les mains dedans, où je me sente utile. Je ne savais pas encore quoi, mais rapidement, c’est l’alimentation, manger, qui m’est apparu comme hyper important.

Bifurquer, c’est parfois idéaliser. Avez-vous été confronté à des désillusions ?

Oui, le risque, c’est d’idéaliser, d’avoir des attentes. J’ai la chance d’avoir un caractère et une façon de voir les choses qui me pousse à éloigner au maximum les attentes de ma manière de faire. Parce que dans les attentes, il y a le germe de la déception.

Je me suis lancé dans ce projet comme quand je suis rentré en école de commerce, ou comme quand je suis parti à l’étranger, sans avoir les moyens ! L’humilité a été une arme importante, ainsi que la croyance que ça allait réussir.

J’ai eu la chance de rencontrer des partenaires de jeu — parce que pour moi, c’est un jeu — avec de bonnes compétences, et la même envie de bien rêver, bien faire, bien réussir.

On a franchi toutes les étapes progressivement, positivement, jusqu’à aujourd’hui. Il y a encore tellement à faire, on ne sait pas comment ça va marcher demain, mais on y croit à fond.

Aujourd’hui, comment vivez-vous ce nouveau métier ?

Avant, je cloisonnais vie privée et vie pro. Aujourd’hui, tout est aligné.Toutes les journées ne se ressemblent pas, mais j’ai encore souvent ce sentiment de chance : faire quelque chose que j’aime et qui, certains jours, ne ressemble pas à un travail.

Qu’est-ce qui a, selon vous, contribué à la réussite de votre bifurcation ?

Je pense que ce qui a contribué au succès, c’est que je me suis accordé un moment de silence quand j’ai arrêté mon activité précédente. J’ai laissé quelque chose émerger. Il fallait que ça vienne de l’intérieur.

Parfois on parle de « laisser pousser les antennes », pour capter les projets, les opportunités. En fait, je pense qu’on a toutes les réponses à l’intérieur de nous, mais qu’on ne les écoute pas. C’est comme un bateau sur la mer : on part avec les voiles gonflées par le vent, en visant un objectif. Mais on ne se rend pas compte que le vent tourne. Parfois, il devient même contraire. Et si on garde les voiles dans le même sens, on n’avance plus, on rame dans le vide, on s’épuise.

Il suffit alors de tourner la voile. D’accepter que le cap a changé. Et là, le vent pousse à nouveau, tout roule. C’est fluide. C’est un bonheur. Et je crois qu’on est nombreux à vivre ça.

Enfin, quel conseil donneriez-vous à celles et ceux qui s’interrogent sur leur propre bifurcation ?

Ce serait de s’écouter. Et de s’autoriser un temps de silence. Parce que c’est dans ce silence que les choses émergent. S’écouter. Se donner du silence. Et ne pas prendre la décision seul·e. Il faut l’adhésion de ceux qu’on embarque avec nous. Le conjoint, les enfants.

Les amis, eux, sont bienveillants, mais ils parlent souvent à travers leurs propres peurs. Il faut savoir prendre de la distance. Mais je pense que quand on découvre qu’il y a un feu qui brûle à l’intérieur, alors on sait ce qu’on doit faire.

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