19 oct. 2025
« Manières d’être vivant » : Clara Hédouin adapte au théâtre l’essai de Baptiste Morizot
Par
Florence Gault
Jusqu’au 24 octobre, la metteuse en scène Clara Hédouin présente au Théâtre national populaire de Villeurbanne « Manières d’être vivant », une adaptation de l’essai du philosophe Baptiste Morizot. Ensemble, ils explorent sur scène la place du vivant et la possibilité de réenchanter notre regard sur le monde.
©En un battement d'aile
Dans un espace noir épuré, un grand feu trône au centre de la scène. Six pisteurs et pisteuses, éparpillés dans la montagne, se retrouvent. Ils ont perdu la trace de la meute de loups qu’ils suivaient depuis plusieurs heures et cherchent à comprendre ce qu’il s’est passé.
À travers cette adaptation de « Manières d’être vivant », Clara Hédouin invite les spectateurs à vivre une expérience de la pensée, portée par les mots de Baptiste Morizot. Le philosophe consacre ses recherches au vivant, défendant l’idée que l’humain est tissé avec les autres formes de vie et que son existence en dépend profondément.
Ce samedi 18 octobre 2025, lors d’une rencontre organisée au TNP-Villeurbanne, Clara Hédouin et Baptiste Morizot sont revenus sur la genèse de ce projet. Amis depuis près de vingt ans, ils ont trouvé dans cet essai l’occasion de croiser enfin leurs univers sur scène.
Réinventer le théâtre pour explorer le vivant
S’approprier la « boîte noire » du théâtre – cette salle vide, neutre et modulable – a été un véritable défi. « Les boîtes noires, ce sont des lieux faits par les humains pour qu’ils se regardent entre eux. Comment alors décentrer le regard ? », interroge Clara Hédouin.
Fidèle à sa pratique des spectacles en extérieur, Clara Hédouin a choisi de ne pas reconstituer une fausse nature. Elle refuse l’artifice, souhaitant que le spectateur ne perçoive jamais un décor, mais une présence. « Je voulais que le décor devienne sujet », confie la metteuse en scène. Pour cela, elle fait entrer sur scène des « événements du dehors » : des chants de loups résonnent en écho aux cris des comédiens, tandis que des images thermiques projetées montrent la meute en mouvement, comme si nous assistions à la scène en pleine forêt, derrière une caméra thermique.
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« L’attention, c’est la richesse la plus intime de l’humanité », souligne Baptiste Morizot. « Le théâtre est un moyen de donner aux humains une opportunité de porter notre attention sur quelque chose d’important. » La pièce propose ainsi de changer de regard, de retrouver l’émerveillement d’être un vivant parmi les vivants.
Donner corps à la pensée
Pour traduire la pensée sur scène, Clara Hédouin s’est inspirée d’une référence commune avec le philosophe : le dessin animé Vice-Versa, où cinq émotions, incarnées par des personnages, se disputent le centre de contrôle d’une petite fille. « Ce dessin animé est brillant ! Il permet de bien comprendre les émotions. Et on a rêvé de donner à voir des personnages de la pensée. » Sans tout dévoiler, la pièce met en scène six figures incarnant différentes manières d’être au monde.
Cette pièce d’une grande poésie parvient à donner corps à la pensée complexe du philosophe. Les comédiens, remarquables, livrent un véritable corps à corps avec la nature et les non-humains.
La scène des hurlements des loups constitue l’un des temps forts du spectacle : à la fin, le public applaudit en hurlant, imitant les loups, faisant revenir le vivant dans cet espace construit par les humains — le théâtre — où il n’a, d’ordinaire, pas de place. Clara Hédouin réussit ainsi le pari de nous émouvoir du Vivant.



